Hello les Wine Lovers,
Cette semaine, la Grappers Family a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges. Egalement connu sous l’acronyme VSL, ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain. En attendant le vote décisif, nous à la rédac’, on a le sentiment c’est un peu l’omerta en coulisse, tant le sujet est « touchy ». Très peu ont accepté de s’exprimer publiquement mais beaucoup, sous couvert d’anonymat, ont quand même tenu à faire entendre leur voix.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ? Enquête.
Les VSL, c’est quoi ?
Pour faire simple, les VSL sont testées en Champagne à titre expérimental depuis une quinzaine d’années. Il s’agit d’un mode de conduite qui vise à espacer les routes de vigne les unes des autres, à laisser la vigne pousser plus en hauteur et à réduire le nombre de pieds à l’hectare (de 8000 à 5500).
Quels sont les avantages ?
Côté environnement, les VSL présentent des avantages significatifs. Une densité moindre permet aux plants d’être plus vigoureux, plus aérés, donc moins malades et moins gourmands en traitements. Des vignes moins traitées et plus enherbées permettront également à la biodiversité de faire son grand comeback.
En étant plus espacées, les VSL permettent de travailler la vigne de manière plus précise et avec des outils plus légers, de mécaniser certains travaux viticoles, de réduire les coûts de production de 20 %, de pallier en partie à la pénurie de main d’œuvre, et de réduire la pénibilité des travaux pour les Hommes; voilà de quoi ravir une MSA fatiguée de rembourser des ceintures lombaires pour maintenir les dos usés. Sur le plan technique, les essais menés par le panel de dégustation du Comité Champagne démontrent également que les qualités du vin seraient conservées.
En bref, si les VSL permettent de produire à moindre coût tout en respectant l’environnement et en réduisant l’empreinte écologique de la filière de 20%, on comprend mieux pourquoi ça passe crème pour beaucoup de Champenois. Les VSL sont vues comme une planche de salut qui permettraient à l’AOC de répondre en partie aux changements climatiques et dans une large mesure de se réinventer.
Pourquoi ? Parce que depuis 2008, la Champagne n’a jamais retrouvé les volumes qu’elle faisait avant. Et si on vous fait un flashback rapide de ces 18 derniers mois, la Champagne, elle prend cher.
Entre un virus mutant qui a gelé les ventes et les expéditions, un patrimoine offensé par le duo de choc Trump/Poutine, les caprices de Dame Nature qui réduisent les récoltes comme peau de chagrin (« année en 1, année en rien » comme dirait ma daronne) et le Comité Champagne qui a revu les rendements à la baisse (8 000 kilos à l’hectare en 2020 contre 10 200 kilos à l’hectare en 2019), la coupe commence sérieusement à déborder même pour une terre de résilience comme la Champagne.
Face à ce constat, pourrait-on reprocher à certains Champenois de vouloir challenger une AOC qui s’enlise sous le poids de ses traditions et de ses habitudes ? Non.
« Il n’y a pas d’évolution sans liberté d’essayer[1] », c’est vrai. C’est de la contradiction des idées et des forces que vient l’évolution. Si l’on y réfléchit bien, en ouvrant le débat, c’est peut-être aussi ça le but du SGV : ouvrir le champ des possibles et inviter la Champagne à basculer dans un nouveau paradigme pour répondre aux défis de demain.
L’intention est louable mais pour ce faire, encore y-aurait-il- fallu que l’AOC connaisse au préalable des évolutions fortes et constantes et que toutes les questions qui découlent des VSL soient parfaitement maitrisées.
Or, du côté de la Champagne dite historique, l’enthousiasme n’est pas à son apogée. Certains ont même le seum et le verbe coloré. Plus interpellés par la forme que par le fond, beaucoup s’interrogent. Malgré 15 ans d’expérimentation, la rapidité du timing menant jusqu’au vote interpelle. Pourquoi précisément juillet 2021 quand les esprits sont occupés à s’affairer dans les vignobles détrempés ?
En Champagne, tout est une question de temps. Voilà pourquoi un report de vote a été demandé. Le temps d’avoir les idées claires, de se libérer du poid de la pandémie et de pouvoir investiguer les questions restées en suspens.
Pour certains, les VSL c’est un peu la boîte de Pandore voire même le Pharmakon. Un remède mais aussi un poison qui vient malgré lui raviver des tensions plus anciennes et d’accentuer les disparités existantes. En Champagne, sur fond de divergence d’intérêts, de points de vue ou encore d’éthique, on cohabite sans vraiment co-construire.
Les VSL vont-elles accentuer la Champagne à deux vitesses ?
Difficile de l’affirmer mais la crainte est là. Passer en VSL revient à devoir arracher une route de vigne sur deux. Ce n’est pas la Champagne dite historique, avec une moyenne de 15 ares par parcelle, qui optera majoritairement pour ce mode de conduite. Si vous avez 4 routes de vignes sur un terroir classé Grand Cru et que vous devez en arracher deux, ça devient vite dangereux en termes de rentabilité. Si l’on en croit la logique, c’est donc la Champagne dite périphérique, l’autre cœur de la Champagne, avec ses vignobles plus jeunes, moins morcelés et plus exposés qui, avec une moyenne de 10 hectares par parcelle, optera plus volontiers pour les VSL.
Une crise identitaire ?
L’identité de la Champagne ne repose heureusement pas uniquement sur sa densité de plantation. Ce sont ses cépages, ses crus, son sol mais également son histoire, son goût de l’excellence, sa connexion à l’art ou encore à la gastronomie qui en font un vin unique, envié et inimitable. Mais en touchant au sol, à la terre mère, aux racines, on touche aux fondamentaux et au sacré. Ne pas permettre aux racines de plonger profondément dans les différentes couches est une hérésie qui conduira à produire de très bons Champagnes bas de gamme.
Pour aller plus loin
A la rédac’ d’autres questions nous trottent dans la tête. Le prix du kilo de raisin récolté sur des VSL sera-t-il valorisé à la même hauteur que celui récolté sur des VE ? La Champagne restera-t-elle la première AOC viticole en valeur si elle permet à ces deux modes de conduite de cohabiter ? Dans un souci de transparence, une mention particulière figurera-t-elle sur les étiquettes pour éclairer le consommateur ? Dire oui aux VSL n’est-ce-pas indirectement dire oui d’ici quelques temps à l’arrivée de Voltis en Champagne, un cépage hybride et multi-résistant proposé par l’INRA ?
Maintenant que vous en savez plus sur les VSL, êtes-vous plutôt team Céline Dion « A new day has come » ou team Adèle « Skyfall » ? Manquerait plus que Macron s’invite au débat et interdise aux non vaccinés de boire du Champagne… En attendant le prochain Conseil d’Etat, cheers guys !