Interview : Les vignes semi-larges vues par Xavier Muller

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Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Coopérative » par Xavier Muller, Président de Champagne Mailly Grand Cru à Mailly-Champagne.

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je ne suis ni pour, ni contre. Je demanderais plutôt un délai de réflexion plus long pour approfondir les études. Aujourd’hui, nous avons des retours sur le côté technique, qui peut effectivement être avantageux, mais trop peu sur le l’impact qualitatif que pourraient avoir les vignes semi-larges. Ce qui m’inquiète dans ce dossier, c’est de faire de la Champagne un vignoble à deux vitesses et d’accentuer des disparités qui existent déjà.
D’un point de vue technique, les vignes semi-larges permettraient sûrement d’arrêter plus facilement les désherbants car la mécanisation serait plus simple. Le fait de rehausser les rangs et d’avoir moins de surface foliaire permettrait aussi de moins traiter. De ce côté, ça peut être favorable.
En revanche, je suis un peu dubitatif en ce qui concerne la qualité. En Champagne, nous avons un maximum de récolte autorisé de 15 000 kilos. À ce niveau, aucun distinguo n’est fait dans le dossier entre vignes traditionnelles et semi-larges. Cela veut dire qu’on autoriserait la même production pour les deux types de vignes. Je ne suis pas sûr qu’on aille vers plus de qualité et de valorisation du terroir. En somme : les vignes semi-larges, pourquoi pas, mais avec un cahier des charges différent de celui des vignes traditionnelles.

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

C’est compliqué, car cela dépend des structures. À Mailly, par exemple, nous sommes en Grand Cru. Nous avons donc beaucoup de petites parcelles. C’est très compliqué d’envisager d’arracher un rang sur deux ou de se mettre à 2 mètres de large. Ce sera faisable avec de grandes parcelles dans certains secteurs ou de nouveaux terroirs – si l’on décide d’agrandir l’aire d’appellation.
Je fais partie des nombreux vignerons qui pensent que l’on peut faire de très belles choses avec le traditionnel. Nous avons déjà fait de beaux efforts et cela paie. C’est par exemple le cas sur mon exploitation, où j’ai totalement arrêté le désherbant – tout comme plus de 50% de nos adhérents à la coopérative de Mailly Grand Cru.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Je pense que oui. Notre vignoble, fait de vignes étroites, fait partie de ce qui nous distingue des autres régions. On voit peu de vignobles – à part la Bourgogne – avec une densité de plantation de 8000 pieds/ha ! Nous travaillons manuellement, nous employons beaucoup de main d’œuvre, nous avons du matériel spécifique et moins de grappes par pied… Cela contribue à la qualité et à la finesse de nos vins. S’il y a beaucoup de vignes semi-larges en Champagne, je ne suis pas très rassuré sur le positionnement de nos vins dans le futur…
Évidemment, les vignes semi-larges ne seront pas une obligation, ce sera le choix de chacun. Mais les autoriser dans le cahier des charges champenois, c’est prendre le risque de ne plus suffisamment se différencier et de ressembler à d’autres régions productrices de mousseux, comme l’Espagne ou l’Italie.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Ce n’est pas certain. C’est effectivement ce qui était recherché initialement dans le projet. Mais finalement, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de grande incidence au niveau climatique. Si l’on prend les différents thèmes cités dans le dossier, je ne suis pas persuadé que les vignes semi-larges nous amènent des réponses à ce niveau.
Par exemple, les rangs écartés favorisent les dégâts provoqués par la grêle et par la sècheresse. En ce qui concerne les gelées de printemps, on pourrait trouver des réponses au problème en adaptant le travail sur les vignes traditionnelles et mettant des rehausseurs sur le palissage pour augmenter la surface foliaire. On pourrait très bien ouvrir le cahier des charges et envisager d’autres solutions.  

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

Le dossier des vignes semi-larges aujourd’hui met davantage en avant le coté rentabilité que le côté qualité. Du moins, ce dernier n’a pas été suffisamment démontré à mon goût. Y a-t-il réellement un intérêt qualitatif à aller vers les VSL ?
J’ai tendance à penser que nous serons gagnants en termes de coûts, mais il me manque des éléments en ce qui concerne la qualité, comme la contrainte d’une taille haute, d’un rendement réduit ou d’une obligation d’être en bio sur les vignes semi-larges par exemple. Dans ce cas-là, pourquoi pas ? Personnellement, je cherche surtout la valeur. Comment expliquer que les raisins issus de ces vignes, qui coûtent moins cher à produire, offrent des vins toujours au même prix ? 

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

Elles peuvent être une réponse, mais il y en a d’autres. Ne pourrait-on pas former plus de personnel ou faire une belle campagne de communication pour informer les jeunes sur nos métiers et les intéresser ? Je ne pense pas que les vignes semi-larges soient la bonne réponse à la pénurie de main d’œuvre en Champagne.
Nous aurons le même problème dans 15 ou 20 ans : moins il y aura de monde pour travailler dans les vignes, moins les gens seront sensibilisés à notre travail et moins ils auront envie de travailler dans les vignes, même semi-larges. On ne fait que repousser le problème de quelques années.

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

Malgré tout, nous avons notre terroir champenois, nos sols, nos expositions, nos climats. Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous sommes tout de même un vignoble très dynamique socialement parlant : on emploie beaucoup de main d’œuvre locale, on achète à des fournisseurs régionaux nos tracteurs enjambeurs, on enrichit l’économie régionale et on fait vivre notre région. Tout cela fait partie de notre patrimoine, c’est notre force. C’est pourquoi on ne doit pas le dévaloriser et continuer à se fournir localement. Si l’on fait beaucoup de vignes semi-larges, nous emploierons moins de monde, nous nous fournirons à l’autre bout du monde en matériel… Selon moi, la production Champagne se doit de ne pas oublier que notre secteur est un moteur de l’économie locale.
En ce qui concerne Mailly Grand Cru, je ne veux pas parler au nom des vignerons adhérents, car chacun gère son exploitation comme il le souhaite. Je pense qu’il y aura peu de vignes semi-larges dans les Grands Crus, car notre terroir est très morcelé et donc peu adaptable à ce modèle. Compte tenu de notre image, de notre identité terroir, a-t-on intérêt à passer en vignes semi-larges ? J’y vois plus d’inconvénients que d’avantages.
Le SGV doit voter fin juillet et nous sommes nombreux à demander le report de ce vote et davantage d’éléments avérés. Nous avons par exemple du mal à savoir comment réagissent les cépages traditionnels sur les vignes semi-larges ou si les nouveaux cépages envisagés sont intéressants. Il y a encore trop de questionnements et trop peu d’éléments de réponse. Il faut tout de même relativiser : il n’y aura pas d’obligation. Nous pourrons passer en vignes semi-larges et revenir en vignes traditionnelles si cela ne nous convient pas. Ce n’est pas figé.
Une anecdote amusante : il y a peu, j’étais dans le Larzac et j’ai rendu visite à quelques vignerons qui travaillent en vignes semi-larges. Je les ai interrogé à ce sujet : beaucoup m’ont avoué souhaiter faire de la haute densité mais ne pas pouvoir car les coûts seraient trop élevés par rapport au prix du vin qu’ils vendent. 

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