Interview : Les vignes semi-larges vues par Eric Taillet

Grappers-Eric-Taillet

Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Vigneron » par Eric Taillet, Champagne Eric Taillet à Baslieux-sous-Châtillon. 

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je suis contre, car je pense que ce n’est pas une priorité. Ma crainte est l’impact général généré par un tel bouleversement des traditions.
Le monde des consommateurs, des professionnels, des journalistes, des particuliers, est ancré dans un schéma, un style qui fonctionne merveilleusement bien, avec un potentiel de développement qualitatif et environnemental important.
Ma question est : que vont-ils penser de ce bouleversement ?

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

Je pense que le viticulteur, l’exploitant de ce terroir, n’a pas été questionné, que les essais menés ne sont pas assez représentatifs.
De plus, l’aspect social est très important en Champagne. La main d’œuvre générée toute l’année est une responsabilité importante, et je suis convaincu que la mécanisation et la standardisation vont à l’encontre de tous ces aspects, sans compter l’image réductrice sur notre vin si prestigieux. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Oui complètement. Visuellement, cela va détruire le schéma traditionnel de nos coteaux, semant par-ci par-là, des vignes semi-larges. En fin de compte, c’est prendre modèle sur des régions industrielles de vins mousseux bas de gamme… Quelle avancée !

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Je ne pense pas. Le changement climatique nous réussit plutôt bien, la qualité générale des vins a franchement progressé, pourquoi modifier cela ? 

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

Rentabilité sûrement, en réduisant fortement le nombre de pieds, le système de plantation et le travail. Bien sûr, pour la vente directe au kilo, c’est du bonheur !
Pour les vinificateurs, ce qui est mon cas, j’en suis beaucoup moins convaincu. Demander à 4500 ou 5000 pieds/ha de produire la quantité de 8500 à 9000 pieds/ha, pour moi, cela ne rime pas avec qualité. En effet, mon raisin favori, le Meunier, ne va pas apprécier, il va perdre son identité.
Je pense que l’industrialisation, la standardisation et la mécanisation sont très contradictoires avec notre prestigieuse appellation.

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

C’est quand même dommage qu’avec autant de chômeurs, on ait des problèmes de main d’œuvre. Ceci étant, les travailleurs d’aujourd’hui sont Européens. Pour les vendanges, le fait de couper 8000 ou 9000 kilos dans des vignes semi-larges ou des vignes étroites ne va pas changer les problèmes de main d’œuvre.

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

C’est toute la difficulté : la Champagne à deux vitesses.
D’un côté, les producteurs qui vinifient en vignes étroites avec beaucoup de main d’œuvre et des coûts de production élevés, mais une qualité et une authenticité des vins à la hauteur de l’image du Champagne. De l’autre, les producteurs attachés aux corps de production en vignes semi-larges avec mécanisation à outrance, de la taille jusqu’aux vendanges. À la clé ? Des vins standards, sans âme, dignes des grandes surfaces. Ainsi qu’un consommateur perdu dans toute cette disparité de fonctionnements, de qualité et de prix, qui risque de migrer vers d’autres bulles, certes moins prestigieuses, mais pour certaines toutes aussi qualitatives.
Pour conclure, je pense que ce dossier n’est pas une priorité dans notre appellation. Il ne va faire que diviser, une fois de plus, ses producteurs et tirer la région vers le bas. Le monde entier a le regard rivé sur le nom « Champagne ». Briser ce mythe serait la preuve d’un reniement inconscient de cet héritage commun, de notre trésor.

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