Interview : Les vignes semi-larges vues par Simon Normand

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Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Vigneron » par Simon Normand, Domaine de la Borderie. 

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

J’y suis plutôt favorable sur plusieurs points car nous avons eu la chance d’expérimenter ce mode de conduite depuis 2007. Nous avons planté une parcelle en vignes semi-larges et son témoin en vignes étroites. À l’époque, c’est mon père qui a répondu favorablement à la proposition du Comité Champagne de tester ce nouveau mode de conduite.
D’un point de vue technique, 2021 est un cas d’école. Les gelées de printemps et les attaques de mildiou ont endommagé le vignoble Champenois. En vignes semi-larges, nous avons pu observer sur notre parcelle de 40 ares une moindre sensibilité à la gelée de printemps. Un bon point car avec le dérèglement climatique, nous y serons sans doute de plus en plus exposés. Nous pourrions également traiter les vignes avec un mini-tracteur, voire même un quad par exemple, et ainsi pouvoir rentrer dans les parcelles au plus près des pluies en engendrant moins de tassement sur nos sols. Cela permettrait d’être plus efficace dans la lutte contre les maladies, et pourquoi pas d’éviter les produits les plus nocifs…
Je suis surtout enthousiasmé par l’aspect environnemental que présente ce mode de conduite, notamment sur la gestion de nos sols.

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

La majorité des acteurs de la filière sont des passionnés. Je constate que ceux qui ont publiquement affiché leurs inquiétudes sont particulièrement attachés à leur terroir, à leur histoire et à la qualité des vins de Champagne. Pour ma part, le sujet des vignes semi-larges n’est pas la cause de tous les maux de la Champagne. Beaucoup de problématiques habitaient déjà l’AOC avant : la concurrence des vins effervescents étrangers, l’extension de l’appellation ou encore la baisse du prix du kilo.
Il y a une certaine forme de prétention d’imaginer que notre mode de conduite actuel est le meilleur. Nous devons rester en mouvement, être dans la recherche, sans cesse. Le Manifeste que j’ai pu voir passer sur les réseaux sociaux est à mon sens tronqué. En le lisant, on a l’impression que le sujet des vignes semi-larges sort de nulle part, alors que nous avons déjà 30 ans de recul ! Je souhaiterais également rappeler que les vignes semi-larges ne seront pas une obligation, si le projet est validé.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Non. Selon moi, l’identité champenoise repose sur beaucoup d’autres choses que la densité de plantation du vignoble. La typicité de la Champagne passe par son climat, son vin, son sol, son sous-sol, le savoir-faire de ses vignerons, de ses Maisons et de ses techniciens… Son terroir, en somme.
Sur notre Domaine, nous vinifions depuis 2013. Nous sommes jeunes mais nous avons donc déjà eu l’occasion de faire des dégustations comparatives. Les vins élaborés avec des raisins qui émanent de vignes semi-larges conservent leur typicité. Si la qualité des vins était remise en cause, nous serions évidemment beaucoup moins enthousiasmés par les vignes semi-larges.
Si le vote est favorable aux vignes semi-larges fin juillet, je pense qu’une minorité seulement optera pour ce mode de conduite. Nous restons tous très attachés aux vignes traditionnelles. Dans une plus large mesure, la Champagne doit jouer sur cette identité, qui est notre force. Je crois qu’elle a besoin de retrouver un nouveau souffle et de se connecter davantage à ses visiteurs. L’œnotourisme de qualité doit faire partie de notre identité. Accueillons le changement, observons, tout en restant vigilant. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Je poserais la question ainsi : « les vignes semi-larges sont-elles plus adaptées aux changements climatiques ? »
Pas forcément. Par exemple, elles ne répondent pas aux problématiques de sècheresse. Ce sera surtout l’adaptation de nos pratiques et de notre matériel végétal qui nous permettra de mieux faire face au dérèglement climatique. Par contre, elles sont un levier pour lutter contre le réchauffement. La viticulture est une activité qui a un impact sur l’environnement. II serait faux de croire que notre terroir n’est pas vulnérable.
Je pense qu’à travers les vignes semi-larges, nous pouvons devenir une partie de la solution. Elles nous permettront de sortir des herbicides et de couvrir nos sols plus facilement, de limiter la surface travaillée et de séquestrer le carbone dans le sol. Ce sont ces questions qui doivent nous animer avant tout : comment faire pour réduire notre impact négatif sur les milieux, les sols et la biodiversité dans son ensemble ? Il y a urgence sur ce plan.

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

Elles sont avant tout synonymes de qualité. En tant que techniciens de la vigne, c’est la qualité environnementale qui prime chez nous. Nous avons fait venir un botaniste sur l’exploitation pour réaliser une analyse comparative des sols. Sur la parcelle en vignes semi-larges, il a recensé pas moins de 60 espèces différentes. Sur la parcelle en vignes étroites, une dizaine.
La vitiforesterie, qui permettrait également l’enrichissement de nos sols et un effet non négligeable sur la biodiversité, est beaucoup plus facile à mettre en place dans une parcelle plantée en vignes semi-larges. 

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

Les vignes semi-larges rendent également le travail des hommes moins pénible. Devoir effectuer des travaux ardus dans les vignes ne fait clairement pas rêver la nouvelle génération. On manque d’attractivité. Les formations manquent peut-être de reconnaissance et les formateurs devraient sans doute être mieux accompagnés.
Mais je ne fais pas de politique ni d’économie, je ne suis que vigneron… À ce titre, je tiens également à rappeler que nous avons accepté d’expérimenter ce nouveau mode de conduite de façon totalement désintéressée et en aucun cas dans un objectif de baisse des coûts de production ou pour favoriser la mécanisation. Ce sont vraiment les aspects techniques, agronomiques et environnementaux qui nous animent.

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