Interview : Les vignes semi-larges vues par Frédéric Zeimett

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Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Maison » par Frédéric Zeimett, Directeur Général Champagne Leclerc Briant à Epernay. 

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je suis pour : par principe et par philosophie. Je suis pour tester, pour ouvrir de nouvelles portes en Champagne. Je n’ai pas forcément le point de vue d’un viticulteur, mais celui d’un négociant champenois qui aime sa région et qui aime la voir avancer. Je suis pour tout ce qui est prise d’initiative, notamment en matière viticole. 

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

Je me le demande. Je n’ai pas encore compris pourquoi il y avait autant d’opposants et pourquoi cette nouvelle « approche » suscite tant la polémique.
Les vignes telles qu’on les connaît en Champagne n’appartiennent qu’à la Champagne dans leur mode de conduite. J’entends assez régulièrement qu’avec le fait de passer en vignes semi-larges, on va rompre l’esthétisme des coteaux champenois. Mais il faut essayer : on ne va pas rompre l’esthétisme des coteaux, on va le faire évoluer. À mon sens, une région qui n’évolue pas est une région qui meurt. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Elles peuvent faire évoluer l’identité champenoise… Mais est-ce que l’identité champenoise consiste à être gelée ? Je ne crois pas. Il ne faut pas oublier que l’Histoire de la Champagne est extrêmement récente en terme de viticulture. La Champagne est véritablement née après la Seconde Guerre Mondiale.
Avant guerre, on était à 20 millions de bouteilles, on en est à 300 millions aujourd’hui. Donc pourquoi ne pas avancer ? Pourquoi faire comme si cette région avait 1000 ans ? L’Histoire est récente, on peut donc faire évoluer les choses. Et ça ne dénaturera pas la Champagne. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Oui, d’une certaine façon. Les vignes semi-larges sont des vignes plus aérées et auraient été avantageuses cette année par exemple, en raison des « 7 plaies d’Egypte » qui se sont abattues sur la Champagne.
En ce moment par exemple, il y a le mildiou, qui se complait dans des vignes étroites, touffues, très vertes et humides. Si nous avions des vignes plus larges, aérées, un peu plus hautes et avec des raisins moins proches du sol, alors nous risquerions de passer les turpitudes climatiques beaucoup mieux que ces dernières années. C’est donc, en partie, une réponse.

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

On manque encore d’un peu de recul, notamment sur le vieillissement des bouteilles issues des raisins récoltés sur les vignes semi-larges test. Nous n’avons pas assez d’informations pour savoir si le champagne, après quelques années de caves, voire même quelques années supplémentaires dans la cave du consommateur, présentera ou non des différences majeures par rapport aux bouteilles « témoins ». Je ne pense pas pour autant que cela changera fondamentalement les choses en matière de goût du champagne. Le champagne restera le champagne quoiqu’il arrive.
En effet, on va détruire de l’emploi. Mais dans ce cas, on n’aurait pas de gyropalettes et on continuerait à remuer toutes nos bouteilles sur des pupitres en bois. Il faut vivre avec son temps, les choses évoluent. Bien sûr, ce n’est pas l’idéal pour les tractoristes qui conduisent des enjambeurs, car demain on pourra passer avec des tracteurs agricoles entre les rangs de vignes. Alors oui, ça change un peu les choses… On réduit les prix de revient à l’hectare, mais ce n’est pas là où on va trouver la création de valeur dont la Champagne a besoin.

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

C’est exact, mais d’un autre côté la Champagne est en train de verdir à grande vitesse. Il y a de plus en plus de conversions vers une viticulture en bio et on explique que la conduite d’une vigne en bio, c’est 20 à 25% plus cher que la conduite d’une vigne conventionnelle. Je suis prêt à faire 20% d’économies en passant sur des vignes semi-larges pour les investir sur le passage en bio. Il faut être vertueux.
La pénurie de main d’œuvre est une vraie problématique, rien qu’en formation. Par exemple, le lycée viticole d’Avize a des difficultés pour recruter les jeunes. Les métiers extérieurs, liés à la vigne plutôt qu’au vin, attirent de moins en moins en raison de la pénibilité. Il y a de moins en moins de vocation à devenir viticulteur.
Néanmoins, la réponse à ce problème n’est pas forcément dans les vignes semi-larges. La vraie question est : comment fait-on pour réinsuffler un élan de vocation chez les jeunes ? Les vignes semi-larges sur ce sujet sont une fausse réponse à un vrai problème.

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

Ce sont les touristes qui voient le vignoble champenois. Ils s’émerveillent devant l’Abbaye d’Hautvillers, devant les coteaux recouverts de vignes… Je ne pense pas qu’ils fassent véritablement attention à l’écartement des rangs.
Ce qui fait rêver, c’est la marque collective Champagne, qui elle, restera indéboulonnable. On a tellement d’avantages différentiels pour la Champagne que la largeur des vignes reste très accessoire. 

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