Interview : Les vignes semi-larges vues par Etienne Calsac

Grappers-Etienne-Calsac

Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Vigneron » par Etienne Calsac, Champagne Etienne Calsac à Avize.

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je suis contre car je crois que c’est une fausse bonne idée.
Cela ne me semble pas être une priorité pour la Champagne. Je comprends qu’il y ait des challenges à venir et des enjeux environnementaux à tenir, mais je ne pense pas que les vignes semi-larges en soient la clé. C’est pour ça que je parle de fausse bonne idée, bien que je respecte le fait qu’il y ait une réflexion autour de cela.
Il ne faut pas oublier le côté historique : nous travaillons des vignes étroites depuis plus de 100 ans et ce modèle traditionnel a fait ses preuves qualitativement. D’ailleurs, on peut s’apercevoir que la plupart des vignobles qualitatifs sont plantés en vignes étroites. Ce n’est pas pour rien. Je pense également que la course à la baisse des coûts de production pour créer une hypothétique marge n’est pas la solution. Les coûts seront certes diminués, mais je ne suis pas persuadé que le bien sera valorisé qualitativement. Si nous produisons des raisins moins chers, nous vendrons des bouteilles moins chères, qui finiront en tête de gondole en grande surface.
Pour moi, il peut y avoir une dérive dans la course absolue aux coûts de production. Il y a d’autres pistes pour les baisser. En Champagne, nous ne sommes pas assez dans le collectif. Il vaudrait mieux que les vignerons s’intéressent davantage à leurs voisins et discutent avec eux pour envisager de l’emploi et du matériel partagé, par exemple.

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

Je pense que le clivage se créée surtout sur l’aspect social. Une région qui est encore prospère est-elle prête à ne pas remplacer la moitié de ses salariés viticoles à long terme ? Je ne suis pas persuadé que cela soit très bénéfique pour notre image.
Nous sommes employeurs de main d’œuvre, nous avons des responsabilités vis-à-vis de cela : des gens à former, une région à valoriser. Ouvrir la porte à la mécanisation n’est pas valorisant pour l’effervescent le plus prestigieux du monde.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Oui, clairement oui. Cela vient complètement casser les codes de notre modèle traditionnel. On se calquerait sur nos « concurrents », comme le Prosecco ou le Cava, qui sont en vignes semi-larges.
En revanche, les vignes semi-larges ne défigureraient pas le paysage champenois, surtout pour le visiteur lambda. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Je ne pense pas que ce soit un levier. Augmenter l’acidité dans les vins de Champagne n’est pas un critère absolu. Il faut aussi voir l’aspect positif du changement climatique sur nos vins : ils n’ont jamais été aussi bons.

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

Quitte à choisir, je dirais qu’elles sont plutôt synonymes de rentabilité. Il faut savoir qu’en Champagne, la plupart des vignerons sont vendeurs au kilo. Pour eux, c’est effectivement important de baisser les coûts de production.
En ce qui me concerne, je fais du vin. C’est un fait : des vignes plus serrées produisent des vins plus concentrés et plus aboutis. Sur des vignes semi-larges, les rendements baissent de 10 à 30% et le rendement par pied est plus élevé. Elles sont certes plus adaptées à certains vignobles, mais cela ne contribuera qu’à accentuer les disparités par crus et une Champagne « à deux vitesses ». Au contraire, je pense qu’il faut valoriser la Champagne, tout cru confondu. On ne peut pas rentrer dans une logique industrielle quand on fait un produit d’exception.
Cependant, je n’ai pas d’œillères. Je suis conscient qu’il y a des problèmes, notamment en termes de recrutement, de mise en place de pratiques environnementales, etc. Mais il existe d’autres pistes à explorer, comme le partage de matériel, qui constitue un levier considérable pour faire des économies.

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

La pénurie de main d’œuvre est un vrai problème en Champagne.
Mais je pense qu’il faut se laisser le temps de la réflexion. Depuis 15 ans, on voit une nouvelle main d’œuvre arriver dans la région, notamment de l’étranger. Bien que, dans le tissu économique, il soit toujours mieux d’avoir des gens du cru qui soient porteurs de tradition, je préfère travailler avec cette main d’œuvre qu’en vignes semi-larges mécanisées.
Je pense même qu’en termes de temps, nous serions gagnants à former des gens d’ailleurs. Le temps que le système des vignes semi-larges soit abouti, j’aurai déjà passé le relai à la génération suivante. 

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

Ce ne sera pas tout le vignoble champenois. Les artisans vignerons continueront de travailler leurs vignes étroites. Heureusement, il nous restera un terroir, un savoir-faire. En revanche, cela reviendra à le standardiser et s’approcher des vignobles du Nouveau Monde.
Il ne faut pas oublier que nous sommes tous dans le même bateau. La valeur et la richesse de la Champagne sont partagées par tous. Je préfère qu’on avance sur des pistes comme le partage de main d’œuvre et de matériel, qui n’est pas assez mis en avant en Champagne, que sur les vignes semi-larges.
À titre personnel, ça ne m’intéresse pas. Et pour le bien de la Champagne dans sa globalité, je ne pense pas que ce soit essentiel. Nous sommes regardés par tout le monde car nous sommes en haut de la pyramide, il ne faut pas faire n’importe quoi et nous dévaloriser.

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