Interview : Les vignes semi-larges vues par Didier Mélé

Grappers-Didier-Mélé

Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Maison » par Didier Mélé, Responsable Vignoble chez Champagne Alexandre Bonnet, Les Riceys.

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je suis pour. D’abord pour des raisons qualitatives : la Champagne – et particulièrement la Côte des Bar – est souvent confrontée aux gelées de printemps. Les vignes semi-larges permettraient d’élever les têtes de souche et pourraient ainsi diminuer le risque de gelée. De plus, cela permet de mieux aérer les vignes, donc de limiter le développement des maladies et réduire la fréquence de traitement. Il y a aussi le côté humain : les vignes semi-larges nous aideraient à diminuer la pénibilité du travail. Enfin pour des raisons économiques, puisque le matériel viticole adapté aux vignes semi-larges est bien moins cher que celui dédié aux vignes étroites, très onéreux.

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

Malheureusement, la Champagne a du mal à accepter le changement. Certains s’inquiètent aussi du fait que le prix de revient pourrait être moins élevé, ou que le prix du kilo pourrait baisser. Je trouve cela hors-contexte.
Si l’on améliore la qualité du raisin, je ne vois pas pourquoi cela devrait faire baisser le prix du kilo. La qualité de la vendange devrait au contraire être améliorée grâce aux vignes semi-larges. Il devrait par exemple y avoir moins de risque de botrytis et de maladies. Si le travail est bien fait, nous devrions avoir besoin de moins de traitements pour protéger les vignes car les cibles seraient plus faciles à atteindre. Cela ne peut être que bénéfique pour la qualité des raisins. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Pas du tout. Il faut vivre avec son temps et faire évoluer l’appellation. Les vignes semi-larges ne sont peut-être pas l’unique solution, mais elles constituent une alternative. En ce qui nous concerne, les Riceys se trouvent dans la Champagne méridionale, à peine à 6 km de la Côte d’Or, en Bourgogne. Là-bas les producteurs de Crémant de Bourgogne cultivent des vignes semi-larges et il y a peu de retours négatifs.
Cependant, il est normal que cela ne convienne pas à tout le monde. Les vignes semi-larges sont plus facilement acceptées dans la Côte des Bar que dans les autres régions champenoises car les parcelles y sont plus grandes et moins morcelées. De fait, plus les parcelles sont grandes, plus l’on accepte de perdre des plants de vignes. Dans les autres terroirs, il y a souvent des micro-parcelles et je comprends qu’il soit difficile d’accepter ce système de vignes semi-larges. Pour les vignerons qui les cultivent, cela posera un vrai problème.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Tout à fait. Le réchauffement climatique est la cause de très fortes chaleurs estivales et de gelées printanières. D’un côté, les vignes semi-larges pourraient provoquer un risque de grillure des raisins plus important car l’ombre portée est différente de celle des vignes étroites.
En revanche, elles pourraient pallier au gel de printemps, notamment grâce à l’élévation des têtes de souches. Il serait aussi plus facile d’implanter des couverts végétaux pour protéger les sols et garder la ressource en eau. Je pense que cela peut aller dans le bon sens pour s’adapter au réchauffement climatique.

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

C’est justement le cœur du débat actuel. J’aurais tendance à dire : les deux. Il faut d’abord partir du principe que si l’on veut produire de beaux raisins, il ne faut pas être regardant au centime près dans son travail. Je n’aime donc pas le terme de « rentabilité », et je dirais plutôt « facilité », car les vignes semi-larges peuvent justement faciliter ce travail.
En ce qui concerne la qualité, je n’ai pas encore assez de recul, mais je me renseigne beaucoup et je suis très attentif au débat. Selon le CIVC, les vignes semi-larges permettraient d’obtenir des raisins avec plus d’acidité. Avec le réchauffement climatique, les acides organiques sont brûlés et on a, de fait, des vins moins frais. Cela ne peut être que bénéfique au champagne, qui a besoin de fraîcheur.

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

Nous avons effectivement des problèmes de main d’œuvre. Les vignes semi-larges pourraient pallier partiellement à ce besoin et à la difficulté de trouver du personnel, qualifié ou non d’ailleurs.

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

Je ne pense pas que la largeur du rang de vigne soit représentative de la qualité d’un vignoble. Le vin est fait selon les usages locaux, loyaux et constants. Une appellation, c’est avant tout des sols, des sous-sols, des cépages, des hommes et un savoir-faire. Il y a 100 ans, avant la crise phylloxérique, les vignes champenoises étaient en foule et on comptait environ 25 000 pieds/ha. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Rien n’empêche d’évoluer, il faut vivre avec son temps.

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