Interview : Les vignes semi-larges vues par Antoine Malassagne

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Grappers a planché sur un sujet particulièrement brûlant en Champagne : les vignes semi-larges.
Ce nouveau mode de conduite du vignoble pourrait bien être officiellement inscrit dans le cahier des charges de l’AOC dès le 27 juillet prochain.
Pourquoi, alors qu’elles seront une option et non une obligation, la question des VSL divise-t-elle autant ? Viendrait-elle malgré elle raviver certaines tensions ?

Grappers a enquêté sur le sujet et a souhaité donner la parole aux protagonistes du Champagne.

Voici le point de vue « Maison » par Antoine Malassagne, Champagne AR Lenoble à Damery.

Êtes-vous pour, neutre ou contre les vignes semi-larges ? 

Je trouve que cette question n’a pas beaucoup de sens car rien n’est noir ou blanc.
Je pense qu’il ne faut rien s’interdire et essayer. Cela fait plus de 25 ans que sont menés des essais, avec des avantages et des inconvénients. Dans tous les cas et comme tout vignoble, la Champagne se doit d’évoluer, d’avancer et de ne pas regarder dans le rétroviseur. Je n’ai jamais essayé les vignes semi-larges. On ne peut pas être pour ou contre quelque chose que l’on n’a jamais essayé.

 

À votre avis, pourquoi le débat sur les vignes semi-larges est-il aussi vif au sein de l’AOC ? 

Je ne comprends pas pourquoi cela pose tant de problèmes, je suis surpris. Pour ma part, cela fait plus de 20 ans que j’ai des vignes enherbées sur lesquelles j’ai rencontré des problèmes très importants. Les vignes semi-larges pourraient probablement en résoudre une partie. Certainement pas la totalité, mais au moins une partie.
Je ne comprends pas pourquoi une telle levée de boucliers. Peut-être que ceux qui s’y opposent sont plus bruyants que ceux qui sont neutres ou pour. Rien n’est obligatoire et on ne se lancera pas tous dans la conduite de vignes semi-larges. Mais il faut rester ouvert.

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles remettre en cause l’identité champenoise ?

Non. Qu’est-ce que « l’identité champenoise » ? Rien n’est figé ni inscrit dans le marbre. 

 

Les vignes semi-larges pourraient-elles être un levier d’adaptation au changement climatique ?

Cela peut être l’UN des leviers. Il n’y a pas de solution unique, mais de multiples solutions qui nous permettront de nous adapter à de nouveaux modes de viticulture et au changement climatique. Les vignes semi-larges ne seront pas l’alpha et l’oméga de la viticulture champenoise, mais elles peuvent être un élément auquel prêter attention. Je suis de ceux qui ne s’interdisent rien.
Prenons un cas concret. Je suis en vignes enherbées depuis plus de 20 ans et je rencontre de nombreux problèmes, notamment lorsque je passe les interceps sous les rangs car cela abime les pieds. Lorsque j’ai arraché mes vignes, j’ai décidé de replanter avec des porte-greffes plus hauts, d’environ 30 ou 40 cm de hauteur. Cela coûte cher, certes, mais il y a moins de problèmes lorsque l’on passe la charrue. Ce n’est pas dans les habitudes champenoises, mais ai-je pour autant remis l’identité de la Champagne en question ? Non, je ne crois pas. J’ai essayé de m’adapter aux problèmes des pieds abimés et de taille, et cela m’est apparu comme une solution.
Les vignes semi-larges pourraient aussi être une solution. Je ne vois pas pourquoi cela remettrait complètement en cause l’identité champenoise. Si cela nous permet d’avoir des vins identiques, très bien, si cela nous permet de réduire notre empreinte carbone, c’est mieux, et si cela nous permet de ne plus utiliser d’herbicides, tant mieux. Ne soyons pas figés. Heureusement que nous avons tous évolué. Cela prend du temps, ça ne se passe pas que sur une génération. Il faut essayer et ne pas s’opposer au changement. En viticulture, il n’y a pas de révolution, cela n’existe pas. Il n’y a que des petites étapes qui peuvent permettre de faire progresser et avancer un mode de viticulture. C’est pour cela qui ne faut pas s’interdire d’essayer. 

 

Pour vous, les vignes semi-larges sont-elles plutôt synonymes de qualité ou de rentabilité ?

Je ne sais pas, je n’ai pas fait d’essai. Donc je ne peux pas répondre à cette question. Ce ne sont que des hypothèses.

 

Certains articles expliquent que les vignes semi-larges permettraient de réduire les coûts de production de 20% et de pallier à la pénurie de main d’œuvre. Qu’en pensez-vous ? 

C’est un des éléments, c’est un aspect économique et social à prendre en compte. Si l’on ne voit les vignes semi-larges que par le prisme de la réduction des coûts et de la main d’œuvre, ce n’est pas l’idée. Je pense que la Champagne, compte tenu de la valeur qu’elle apporte, peut se permettre d’avoir un coût un peu supérieur à la moyenne européenne et française.
Je n’ai pas l’impression que les vignes semi-larges soient uniquement une réponse à la mécanisation. Elles la facilitent évidemment, mais est-ce mieux de continuer de passer avec des enjambeurs qui font 2,5 tonnes ? Est-ce qu’on n’aurait pas intérêt à avoir des vignes semi-larges qui nous permettrait d’avoir des engins de moindre poids ? Il n’y a pas dans les vignes semi-larges qu’une question de mécanisation. 

 

Si le vignoble champenois finit par ressembler à tous les autres, où se trouveront nos éléments différenciants ?

Le paysage se fait-il uniquement par les façons de planter ? Je ne crois pas. Je ne vois pas en quoi cela le ferait ressembler à tous les autres. La façon de planter n’est pas l’unique identité de la Champagne. Ses paysages, ses terroirs, ses villages… Tout cela ne changera pas parce qu’on va modifier la façon de planter nos vignes.
Nous sommes une famille et nous devons laisser la liberté d’essayer à ceux qui le veulent, tout en gardant cela sous surveillance. Si c’est profitable sur certaines parcelles, faisons-le. Si sur d’autres, ça ne l’est pas, ne le faisons pas. Mais laissons chacun faire comme il l’entend. Il faut laisser part à la science, à l’expérience et à l’empirisme. Il faudrait peut-être passer à la phase pilote, c’est-à-dire laisser la possibilité à des vignerons et à des Maisons de faire des essais grandeur nature. Si j’en vois l’utilité au niveau travaux du sol et passage des engins, je pourrais moi-même essayer. Je pense qu’il faut vivre avec son temps. Plus personne ne travaillera comme le faisaient nos grands-parents.
Je crois à une viticulture qui, certes, s’inspire du passé, mais qui ne reste pas figée. Je crois à une viticulture qui se cherche, qui se réinvente et qui essaie. Pourquoi interdirait-on à une génération de faire évoluer sa viticulture ? Je ne comprends pas. Dans certains endroits, cela peut être intéressant. Il ne faut pas dire « ça ne sert à rien » sans avoir essayé.

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